Pourquoi « La fin de l’image »

Dernière mise à jour de ce texte : 30/1/2018

La fin de l’image d’ici 41 ans !

J’ai pronostiqué en 2009 la fin de l’image d’ici 50 ans et j’inscris depuis ce moment l’ensemble de mon travail et de mes expositions dans cette perspective.
Du moins consciemment, car instinctivement, mes Réinterprétations dimensionnelles et mes Translations dimensionnelles, commencées bien auparavant,  s’inscrivaient déjà dans cette démarche en symbolisant la transformation des images en volumes.

Annoncer la disparition de l’image peut sembler parfaitement anachronique, tant cela semble à contre-courant de sa prolifération exponentielle. Mais celle-ci est justement le symptôme de sa fin.

Matériau constitutif de tous les médias et au centre même de notre façon de communiquer, les images sont omniprésentes. Non seulement elles sont partout, mais, quand elles ont un rendu photographique, nous les considérons aussi comme le moyen d’attester une réalité. Elles ne sont pourtant que des éléments plans (ou presque), définies par une hauteur et une largeur. Mais nous oublions souvent de les distinguer du réel.

Qu’en sera-t-il lorsque les images seront en volume autour de nous, lorsque nous baignerons dedans ?

Lorsqu’elles sortiront totalement de leur cadre, que leur délimitation ne sera plus perceptible ; lorsqu’elles seront tellement fines et intégrées à notre espace que nous ne pourrons plus les distinguer du réel (réel qu’elles auront augmenté, voire remplacé)… elles auront disparu !
Nous vivons une révolution énorme. Nous la vivons tellement au quotidien que nous n’avons pas conscience du basculement qui s’opère.

L’image est en train de transmuter vers autre chose, vers le « volume », l’ « espace », la sculpture.

N’oublions pas que le but des images a toujours été de ne pas en être.

Au fil de l’Histoire de l’Art, toutes nos inventions visuelles vont dans ce sens : le dessin, puis la peinture, puis la photographie, puis l’image animée, le cinéma, les écrans (puis l’augmentation de leur taille et de leur résolution), la 3D, la réalité augmentée… Depuis toujours, depuis les premiers dessins, il s’agissait de chercher à se représenter un autre réel, le mieux possible, pour s’y projeter toujours plus et toujours mieux. Jusqu’à l’apparition d’une branche de l’art jouissant du pictural pour le pictural, le but principal des images, depuis toujours, a été de disparaître en tant que telles.
Sans cesse perfectionnées pour aller plus loin dans la dissolution de la frontière entre le réel et sa représentation, elles finiront par fusionner avec notre espace.
Nous avons déjà fait beaucoup de chemin en ce sens : montrez la photographie d’une voiture, personne ne vous dira « c’est la photographie d’une voiture », mais tout le monde vous dira « c’est une voiture ».

De Platon à Kosuth, en passant par Magritte, on ne compte plus les tentatives de mise en garde et de distanciation entre le réel et sa représentation. Rien n’y fait car c’est une jouissance que d’y croire. Tout a continué d’alimenter un chemin inverse. Si vous pilotez une voiture dans un jeu vidéo, vous êtes déjà dans un début de transformation de l’image en « réel », vous êtes déjà un peu dans l’image, dans la voiture.

L’image aura bientôt les moyens de ne pas être différente de ce qu’elle représente.

Plus la technique se perfectionnera, moins nous ferons la distinction entre « être dans une voiture » et « être dans sa représentation ». Le pouvoir de l’image est de plus en plus fort, puisque celle-ci réussit de mieux en mieux à nous illusionner sur sa valeur elle-même.

Qu’en sera-t-il, alors, des représentations en trois dimensions, qui s’intégreront parfaitement à notre espace réel ? Si nous sommes immergés dans un espace virtuel perfectionné et omniprésent, peut-on encore se permettre de différencier, d’une part, le « réel » et, d’autre part, le « virtuel » ? Cette différenciation est-elle encore pertinente ? Le virtuel ne constituera-t-il pas une dimension à part entière du réel, ne méritera-t-il pas aussi le nom de réalité ?

La fin de l’image, ce n’est pas seulement la fin de l’image, c’est aussi la fin du réel !

Les conséquences sur la perte du réel qui nous affectera tous sont justes immenses, indescriptibles !
Et nous nous y précipitons tous dans la plus pure inconscience !
J’essaierai d’y revenir plus longuement, mais pour l’instant j’essaye d’utiliser les œuvres d’art pour sensibiliser à cette question et de me demander comment le plasticien doit en parler.

Si l’on peut déjà dire tout naturellement d’une photo du Penseur de Rodin que « c’est le Penseur de Rodin », on peut considérer que la représentation d’une sculpture sur un tirage photo ou dans un écran EST déjà, d’une certaine façon, la sculpture.

Voir à ce sujet ma conférence « Sculpture virtuelle » au festival des Nouvelles Métamorphoses 2013.

La question se pose encore plus si une sculpture a été conçue en 3D, dans un écran : l’original est alors bien insaisissable, à la fois impalpable et indissociable d’un medium utilisé pour le représenter. Une sculpture 3D est une suite de données numériques qui ne peut s’appréhender qu’à travers le calcul… d ’images !
Pourrait-on fournir l’œuvre sous la simple forme d’une suite de 0 et de 1 ? C’est satisfaisant d’un point de vue conceptuel, mais souvent décevant d’un point de vue visuel. Dans ce cas, il faut réaliser une prise de vue, installer une caméra dans l’espace 3D et photographier ou filmer. La prise de vue est-elle l’œuvre ? Oui parce qu’on ne peut appréhender la sculpture 3D sans elle… et pourtant non puisque la sculpture existe sans elle ! Paradoxe qui n’a plus tellement d’importance : lorsque la représentation de l’œuvre sera aussi réelle pour nous que l’œuvre, apparaissant en 3D dans mon espace, elle sera l’original.

La dématérialisation du support.

La sculpture digitale introduit une notion nouvelle, celle de la dématérialisation du support. Tirage photo ? Vidéo ? Réalité augmentée ? Peu importe, cela n’est plus déterminant. Ainsi, si je calcule une vidéo d’une de mes sculptures aujourd’hui, adaptée à la meilleure résolution existante et à des écrans 2D, rien ne m’empêchera de recommencer plus tard, en m’adaptant aux nouvelles possibilités des médias : meilleure résolution, image holographique…

Ce texte a été publié une première fois sur ma page Facebook en 2010 à cette adresse et à fait l’objet d’une conférence le 21 novembre 2013 à l’association Kdroz.

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